EREMM : Concevoir l’alternative dans l’Espagne médiévale et classique (images, littérature et civilisation)

Notre équipe a décidé de poursuivre son itinéraire de recherche en accord avec la nouvelle thématique commune d’Ameriber, qui va se décliner autour de « L’exception », en se focalisant sur une question autour de l’alternative : « Concevoir l’alternative dans l’Espagne médiévale et classique (images, littérature et civilisation) ».

Nous avons dégagé quatre axes, correspondants aux quatre premières années du quinquennal, la dernière étant réservée à un colloque final : 

  • utopie(s), dystopie(s), ucronie(s), mondes imaginaires
  • marges et marginalités 
  • idéal vs prosaïque
  • émergence des formes et écritures des genres (écrire l’alternative)

L’alternative englobe l’émergence de formes dissidentes, les marges et les marginaux ; pour les périodes médiévales et modernes, les altérités sont généralement conçues comme des déviations par rapport au modèle normé et hétérodoxe. Elles prennent des forment variés qui n’ont pas toujours trouvé leur place dans l’historiographie et l’intérêt pour ces groupes connait aujourd’hui un fort élan justement motivé par la recherche d’un regard renouvelé sur les sources : depuis les personnages de la picaresque, les enfants, les personnes âgées ou invalides, les monstres, les hérétiques, marranes et acteurs de la sorcellerie. Il s’agit alors d’une alternative condamnée comme déviance ou rejetée comme imparfaite et dégradée. Ainsi, en civilisation hispanique, ces recherches ont déjà donné lieu à plusieurs travaux et publications :

 

  • Le Traité sur les Morisques d’Espagne, Traduction et édition critique de Vincent Parello, Paris, Garnier, 2021.
  • Les Morisques d’Espagne vus de France, Paris, Honoré Champion, 2022.
  • « Pedro de Valencia et la construction de l’ennemi intérieur », e-Spania, 39, juin 2021 [en ligne].
  • « Pedro de Valencia et la guerre juste : peut-on raisonnablement faire la guerre aux Morisques ? » (à paraître dans le prochain numéro du Bulletin hispanique).

Concernant les marges géographiques : Aventures et voyages de Pero Tafur. Un hidalgo du XVe siècle, J. Roumier, J.Paviot et F. Serrano Toulouse, Presses universitaires du Midi, 2022.

 

 

En littérature moderne, ces travaux donnent et donneront lieu à plusieurs rencontres et publications :

  • Politique et poétique du gueux : rogues et pícaros dans l’Espagne et l’Angleterre médiévales et renaissantes, ed. P. Darnis et P. Drouet, à paraître en 2024.
  • Formas y funciones de la superstición en Cervantes, (magias, augurios y profecías), éd. E. Canonica, P. Darnis, A. Montaner, Huelva, Etiópicas, à paraître en 2023.
  • Co-organisation de la rencontre Cervantes y los perros del “Coloquio”: una cinología de la fábula, dir. Nicolas Correard et Pierre Darnis (Bordeaux, 2023), en partenariat avec le LAMO (Université de Nantes).

 

De manière transversale chronologiquement, la réflexion sur la recherche d’alternatives pensées en tant que modèles de sociétés a donné lieu à l’organisation en novembre 2023 d’un colloque consacré aux « Sociétés utopiques médiévales et modernes ». Il débouchera sur une publication dans la revue des Cuadernos del CEMYR en 2024 (dir. Elvezio Canonica et Julia Roumier). Les textes utopiques donnent à lire un monde rêvé, la description d’un modèle de réalisation humaine sans appel à une transcendance. Pour cette raison on peut y voir une forme d’optimisme anthropologique. Ce modèle s’incarne dans des formes souvent situées dans les confins et intégrées à des formes de récits de voyages. Ces textes prennent aussi la forme de fictions de compensation, où l’imaginaire peut librement concevoir une réalité alternative qui peut être conçue comme un appel à la mise à l’épreuve du réel. Cette dichotomie entre imaginaire et réel, entre textes et pratiques montre les dynamiques par lesquelles l’alternative prend la forme d’un idéal imaginé, recherché, puis imité. 

C’est aussi le cas de l’idéal de perfection qu’incarne le modèle aristocratique et chevaleresque.  Il offre en réalité une alternative aux imperfections et violence subies dans le monde réel et permet l’importation d’un modèle fictionnel dans les relations et célébrations courtisanes. Ces topiques de perfection sociale sont repris à nouveau dans des textes de fiction et la société chevaleresque va en particulier s’appuyer ces échanges avec les modèles littéraire pour concevoir une alternative sociale faite de vertus et de beauté, un modèle qu’il s’agit d’importer vers le monde réel.

À cette perfection morale s’allie l’idée d’une perfection sensorielle, celle d’une société faisant place au plaisir et au contentement des sens. Le plaisir et la joie apparaissent ainsi comme des alternatives portées par une conception hédoniste liée à l’humanisme naissant. 

La recherche sur un regard alternatif porté sur l’histoire nous a également incité à interroger les relations hommes/animal à travers le travail réalisé par Marthe Czerbakoff dans son doctorat sur l’innovation vétérinaire (Colloque L’animal et la Violence (Moyen âge et époque moderne) à Madrid en juillet 2023) ; cela s’intègre dans un axe d’étude consacré à l’affirmation ou l’infirmation de l’éthos nobiliaire par la relation à l’animal, axe qui sera développé en 2023 et 2024 (dir. Darnis et Roumier). 

 

L’alternative ouvre, enfin, la réflexion sur l’émergence des formes textuelles nouvelles, avec un élan créatif, creuset d’innovation. Cet axe inclut donc l’écritures des genres et l’affirmation du pouvoir créatif de l’alternative comme outil discursif. On peut en effet y lire un art de la contestation et de la modification du monde par l’écriture.