Récit contemporain et mémoire familiale : quêtes et (des)appartenances

COLLOQUE INTERNATIONAL

4 et 5 avril 2024 (en présentiel)

 

Récit contemporain et mémoire familiale :

quêtes et (des)appartenances

 

Après un colloque sur la question du lien dans le récit contemporain en langue portugaise (2016) et un autre sur les déclinaisons du postcolonial (2021), le centre d’études sur les pays de langue portugaise de l’Université Bordeaux Montaigne (GIRLUFI - AMERIBER) propose une réflexion sur le lien familial à l’épreuve du contemporain. Il s’agira, plus précisément, d’explorer les questions de transmission et de perpétuation de la mémoire et de l’histoire familiales. L’impact de cette mémoire sur la trajectoire individuelle sera également évalué (DE GAULEJAC, 1999), de même que les liens entre mémoire familiale et mémoire collective (VECCHI, 2018). Les espaces culturels de langue portugaise constituent un laboratoire d’observation des récentes mutations de la famille et des nouvelles représentations qui en découlent, et permettent d’appréhender ces questions dans d’autres aires géoculturelles. En effet, contextes postcoloniaux, migrations, métissages et évolutions sociales spécifiques (familles recomposées, homoparentalité, nouvelles méthodes de procréation…) ont contribué à reconfigurer la famille, questionnant les identités, le rapport au passé, à la mémoire et aux générations précédentes. La production littéraire et artistique autour de ces questions s’avère particulièrement riche de nos jours, et l’un des objectifs de ce colloque est de souligner ce dynamisme, ainsi que les nouveaux éclairages apportés par cette production culturelle sur le monde contemporain.

L’approche se veut géographiquement décloisonnée puisque les travaux porteront sur différents pays de langue portugaise, avec un élargissement possible à d’autres cas susceptibles d’éclairer, par contraste ou analogie, les situations propres au monde lusophone.  Il s’agira également de faire intervenir différentes disciplines : les récits et représentations du lien intra/inter/transgénérationnel sont pensés à travers leurs nombreux supports (littérature, témoignages, cinéma, séries, médias…) et mis en rapport avec les évolutions sociales, politiques et historiques des dernières décennies, tout en intégrant d’autres dimensions, notamment psychologiques et mémorielles.

Les réflexions se déclinent autour des cinq axes suivants:

1. Nouvelles formes du récit familial

Depuis les traditionnelles sagas familiales (SMADJA, 2005), l’écriture de l’histoire des familles ne cesse d’évoluer, et ce genre se renouvelle avec dynamisme (MARINHO, 2019), d’autant plus que les supports de la mémoire familiale sont de plus en plus variés. Le roman est supplanté par des récits hybrides qui empruntent à l’autobiographie, à l’autofiction, au roman, au témoignage, sans forcément se déterminer d’un point de vue générique et sans nécessairement préciser leur statut, fictionnel ou référentiel. De même, dans le récit filmique, les frontières entre fiction et documentaire, ou mémoire individuelle et mémoire collective deviennent perméables, donnant une place incontournable aux stratégies narratives métafictionnelles. Les nouvelles technologies (blogs, vlogs, réseaux sociaux…) ont également changé les façons d’écrire l’histoire familiale, et qui sait, peut-être sont-elles en train d’altérer nos perceptions du lien de parenté. Enfin, cette multiplicité de récits contemporains permet de mettre en forme des élaborations psychiques telles que le roman familial (FREUD, 2014 ; ROBERT,1977).

2. La famille face aux migrations et à l’exil ; mémoire familiale et diaspora

Les différentes mobilités induites par le contexte politique ou économique (colonisation, esclavage, exil en période de dictature, vagues d’immigration/émigration, retour des rapatriés en métropole suite aux indépendances…) ont créé des ruptures plus ou moins brutales au sein des familles ou des lignées qui se répercutent sur la transmission de la mémoire familiale, parfois en la compromettant ou en changent les modalités de cette transmission (MARTINHO FERREIRA, 2021). Le maintien des liens avec le pays d’origine, la reconfiguration des rapports familiaux en situation diasporique, la recherche généalogique et les mécanismes d’identification, ou au contraire, le reniement des ascendants, sont autant de problématiques qui surgissent en situation de mobilité. Certaines œuvres problématisent les traumatismes familiaux qui perdurent au fil du temps en contexte diasporique, notamment à travers la question du corps qui imprime et conserve les traces du passé des ancêtres. Dans de nombreuses situations de migration internationale se pose aussi le choix entre la langue du pays d’accueil et celle du pays d’origine, et des interrogations surgissent quant à la traduction entre ces langues. On remarquera également plusieurs situations où les langues, porteuses d’enjeux identitaires et mémoriels, se côtoient, se mélangent et se confondent (REZZOUG & MORO, 2011).

3. Quête d’ancestralité et de racines / rupture, reniement, oubli

Le tournant décolonial et, dans le cas du Brésil, les politiques d’action affirmative pour afrodescendants et amérindiens élargissent la prise de conscience des individus, voire des familles entières, d’une origine souvent escamotée, passée sous silence, refoulée, oubliée ou blanchie (VAINER SCHUCMAN, 2023). Les objets soigneusement transmis entre plusieurs générations, les archives officielles ou privées, voire la conscience d’un corps racialisé peuvent constituer le point de départ d’un récit de quête des origines et d’empowerment. L’ancestralité (OLIVEIRA, 2007), dans ce contexte post-colonial, et de ce fait hybride, ne signifierait pas un retour vers la matrice culturelle du passé, mais un processus de négociation identitaire et de résistance qui se fait à partir du territoire actuel et de son contexte présent. Cela expliquerait l’émergence d’une esthétique afrofuturiste dans l’ensemble de la diaspora africaine, mais aussi un changement radical de perspective dans le récit historique, historiographique, littéraire et audiovisuel en faveur d’un point de vue non-hégémonique. L’adoption du multiperspectivisme amérindien (VIVEIROS DE CASTRO, 2014) dans certains récits contemporains serait également une stratégie pour endosser des épistémologies systématiquement reniées jusqu’à présent, et ainsi décoloniser la pensée. Par ailleurs, le mouvement contraire de rupture, voire de reniement des origines familiales ou d’une partie de la famille peut également s’opérer pour de nombreuses raisons, souvent par une prise de conscience d’une position hégémonique injuste occupée jusqu’à présent par sa famille (bourreaux, esclavagistes, corrompus, homme de pouvoir etc.). On pourrait aussi se pencher sur les ruptures qui ont lieu à partir d’une orientation de genre LGBTQIA+ d’un membre de la famille qui échappe aux normes de celles-ci et au cas des transfuges de classe.

4. Nouvelles configurations de la famille, entre tradition et modernité

Le monde contemporain remodèle en profondeur les structures et configurations familiales et, dans ce contexte, la perpétuation de la mémoire, de l’histoire et des traditions donne lieu à de nouvelles problématiques. Les espaces géoculturels africains de langue portugaise et par extension ceux de l’Afrique subsaharienne, par exemple, sont un laboratoire fécond pour l’observation des mutations qui affectent la famille africaine dans une société en transformation et des consécutives tensions entre tradition et modernité. De nombreuses déclinaisons des stratifications sociales et des systèmes de parenté, allant de la présence d’initiations, de rites de passage marquant l’acquisition de l’identité sexuelle au statut rompant avec l’enfance sont soumis à une relecture lorsque replacés en contexte capitaliste urbain. Dans des pays comme le Mozambique, les structures patrilinéaires et matrilinéaires sont confrontées au code civil européen instituant la monogamie au sein des familles régies par le mariage coutumier polygame. Certains récits à voix féminine remettent en question les tabous des pratiques traditionnelles du mariage forcé, du mariage arrangé, de la dot, du lévirat et de la mutilation comme un moyen de dénonciation de la condition féminine et de quête d’un autre rôle plus émancipateur pour la femme au sein de la famille. La famille en Afrique est souvent perçue comme un lieu de culte, mais si la sacralité de la famille africaine tend à regrouper ses membres bien au-delà de la sphère mononucléaire, les phénomènes de déparentalisation (TONDA, 2002), c’est-à-dire, la rupture des liens lignagers provoquées par une hypothétique guérison divine ou par des crimes de sang sont responsables du reniement de l’individu qui se trouve exclu du clan ou de la famille élargie. Enfin, les différents conflits qu’ont connu les pays africains ont vu émerger une autre sorte de famille, celle des « enfants migrants », victimes de la globalisation (enfants des rues, enfants soldats, enfants trafiqués, enfants prostitués, enfants réfugiés). Lorsqu’ils ne se confondent pas avec la catégorie floue des « jeunes » qui composent la vaste majorité des migrants illégaux transnationaux, ils intègrent des structures familiales où les parents de substitution constituent les seuls repères familiaux (LALLEMAND, 2004).

5. Postmémoires et identités des générations d’après

Le récit contemporain est également sensible au point de vue des enfants ou des secondes générations des traumatismes collectifs (génocides, racisme, guerres, dictatures, exils politiques) et individuels. Cette « génération de la postmémoire » (HIRSCH, 2014) a hérité de l’expérience des aïeux par la médiation de récits et d’objets pleins d’affects, ce qui lui permet de créer un lien particulier entre présent et passé mais aussi entre mémoire individuelle et mémoire familiale (MUXEL, 2005) et mémoire collective (CALAFATE RIBEIRO & SOUSA RIBEIRO, 2013). Aussi, le travail théorique et critique sur la postmémoire adopte un point de vue transnational dans lequel une « mémoire multidirectionnelle » (ROTHBERG, 2018) permet de connecter différents événements historiques tragiques et d’éviter la concurrence victimaire. On pourrait ainsi analyser, aussi bien sur le fond que la forme, les rapports inter et transgénérationnels dans la production artistique postmémorielle.

 

Les propositions, sous la forme d’un résumé d’une dizaine de lignes et d’une courte notice biobibliographique, sont attendues pour le 25 octobre 2023 et devront être envoyées à l’adresse suivante : 
colloqueavril2024 @ gmail.com

Langues : Français, Portugais
Organisation : Silvia AMORIM (silvia.amorim @ u-bordeaux-montaigne.fr)Soraya LANI (soraya.lani-silva @ u-bordeaux-montaigne.fr) (ilana.heineberg @ u-bordeaux-montaigne.fr)Ilana HEINEBERG (ilana.heineberg @ u-bordeaux-montaigne.fr)

Bibliographie (donnée à titre purement indicatif)

CALAFATE RIBEIRO, Margarida, SOUSA RIBEIRO, António. “Os netos que Salazar não teve: guerra colonial e memória de segunda geração”. Abril - NEPA/UFF, 5 (11), 2013, 25-36.

DE GAULEJAC, Vincent. L'histoire en héritage. Roman familial et trajectoire sociale. Paris, Payot, 2012 (1ère éd. 1999).

FREUD, Sigmund. Le roman familial des névrosés et autres textes. Paris, Payot, 2014.

GRANJON, Evelyn, KONICHECKIS, Alberto. « La migration, un défi pour la famille », Le Divan familial. 2020/1, n° 44.

HIRSCH, Marianne. The Generation of Postmemory. New York, Columbia University Press, 2012.

HIRSCH, Marianne. Family Frames: Photography, Narrative and Postmemory. Columbia University Press, 2014.

LALLEMAND, S. « Mes mères et mes pères. Rapports entre filiation, terme de parenté et adoption-fosterage », De l’adoption : des pratiques de filiation différentes. LEBLIC I. (éd.), Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, pp. 299-321.

LEITE, Fábio Rubens da Rocha. A questão ancestral: África negra. São Paulo, Palas Athenas/Casa das Áfricas, 2018.

MARINHO, Fátima. « A memória da família », Revista de Estudos Literários 9. 2019, pp. 115-130.

MARTINHO FERREIRA, Patrícia. Órfãos do Império. Heranças Coloniais na Literatura Portuguesa Contemporânea. Lisboa, ICS, 2021.

MUXEL, Anne. Individu et mémoire familiale. Paris, Nathan, 2005.

OLIVEIRA, Eduardo. A ancestralidade na encruzilhada : dinâmica de uma tradição inventada. Curitiba, Apeku, 2007.

ROBERT, Marthe. Roman des origines, origines du roman. Paris, Gallimard, 1977.

REZZOUG, Dalila, MORO, Marie Rose. « Oser la transmission de la langue maternelle », L'Autre. 2011/2 (Volume 12), p. 153-161. 

REZZOUG, Dalila, et al. « Langue maternelle en migration : les ingrédients d’un métissage harmonieux », Enfances & Psy, vol. 86, n°. 2, 2020, p. 42-52.

ROTHBERG, Michael. Mémoire multidirectionnelle : repenser l’Holocauste à l’aune de la décolonisation. Traduit par Luba Jurgenson. Paris, Pétra, 2018.

SMADJA, Robert. Famille et littérature. Paris, Honoré Champion, 2005.

TONDA, Joseph. La guérison divine en Afrique Centrale : Congo - Gabon. Paris, Karthala, 2002.

VAINER SCHUCMAN, Lia. Familles mixtes, tensions entre couleur de peau et amour. Paris, Anacaona, 2022.

VECCHI, Roberto. « Memórias familiares e memórias públicas: campos de batalha », Buala. 2018. https://www.buala.org/pt/a-ler/memorias-familiares-e-memorias-publicas-campos-de-batalha

VIVEIROS DE CASTRO, Eduardo. « Perspectivisme et multinaturalisme amérindien de l’Amazonie », traduit par Ella Schlesinger, Journal des anthropologues. 138-139, 2014. https://doi.org/10.4000/jda.4512

Contact : Silvia AMORIM, Soraya LANI, Ilana HEINEBERG (colloqueavril2024 @ gmail.com)