Gerardo, Pérez Barcala (éd.), « Cui tali cura vel remedio subvenitur ». De animales y enfermedades en la Edad Media europea

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    Marthe CZERBAKOFF

    Univ. Bordeaux Montaigne, Ameriber, Eremm

     

    L’ouvrage « Cui tali cura vel remedio subvenitur ». De animales y enfermedades en la Edad Media europea, édité par Gerardo Pérez Barcala, fait suite au congrès international « Ciencias da saúde animal (e humana) na Idade Media europea : autores, textos e contextos » qui s’est tenu en septembre 2018 à Saint-Jacques-de-Compostelle. Il s’inscrit dans le sillage de récentes publications consacrées à l’histoire de l’art vétérinaire, démontrant une fois de plus l’intérêt et la valeur de ce champ d’études émergeant. L’ouvrage rassemble les travaux de treize chercheurs autour de textes datant du IXe au XVIe siècle consacrés au soin d’animaux « nobles ». C’est donc essentiellement la santé des chevaux et des oiseaux de proie qui se trouve au cœur des réflexions menées dans cet abondant ouvrage, sans que le cas des chiens de chasse ne soit toutefois abordé. À l’instar des manuels d’hippiatrie et de fauconnerie, rédigés en latin, français, sicilien, castillan, portugais et galicien, qui y sont étudiés, l’ouvrage est marqué par la pluralité linguistique : sept articles sont en italien, quatre en espagnol et un en français. Si des travaux viennent approfondir les connaissances acquises sur des traités jouissant déjà d’une certaine notoriété comme De Medicina equorum de Jordanus Rufus, d’autres au contraire mettent en lumière des sources restées jusqu’alors en marge des travaux académiques. De fait, le manque d’éditions critiques et d’analyses systématiques de ces textes est déploré à de maintes reprises par les auteurs qui enjoignent les chercheurs à se saisir de cette littérature dont ils n’ont de cesse de démontrer la richesse. La diversité des champs de la connaissance convoqués dans l’ouvrage montre en effet à quel point ces textes sont un objet d’étude singulier au prisme duquel l’on observe de nombreux aspects des sociétés et cultures européennes médiévales. Si chacun des articles donne ainsi à voir la pluridisciplinarité que suppose l’étude de cette littérature, nous pouvons toutefois distinguer trois axes principaux par lesquels les textes sont tour à tour abordés.

    Une série d’articles s’intéresse à la tradition textuelle à proprement parler et permet d’en reconstruire le panorama littéraire et éditorial tout en pointant les enjeux méthodologiques qu’elle représente. Marcelo Aprile pose d’emblée les limites que comportent ces manuels qui ne permettent guère d’apprécier toute la dimension pratique de l’art vétérinaire. À travers l’étude de La gloria del cavallo, l’auteur montre toutefois la façon dont ces textes sont représentatifs de l’époque dans laquelle ils ont été produits ; ce traité-somme constitue en effet, comme l’indique le titre de l’article (« Non più nel Medio Evo, non ancora nell’età moderna : La gloria del cavallo di Pasquale Caracciolo », 11-23), un exemple paradigmatique des mutations qui surviennent au XVIe siècle, période charnière entre le Moyen Âge et l’époque moderne. Le travail d’Aldo Fichera (« Il caso particolare della prima mascalcia del codice 2934 della Biblioteca Riccardiana di Firenze », 81-98) souligne également l’intérêt que représente cette littérature spécifique dans la reconstitution d’une histoire culturelle plus large. La récente transcription intégrale du texte[1] permet une confrontation systématique de ce dernier avec ses sources, dont les résultats sont détaillés dans sept tableaux, mettant ainsi un point final aux débats qui ont opposés de nombreux chercheurs depuis le début du XXe siècle. La « contaminatio » mutuelle de ses deux sources, issues respectivement des traditions occidentale et byzantine, fait de l’œuvre de di Arena un texte singulier dans cette Fachliteratur en langue sicilienne, dont Mario Pagano dresse, grâce au corpus ARTESIA, un panorama détaillé (« La cultura veterinaria in Sicilia nei secoli XIV e XV », 177-194). Le travail de cet auteur laisse entrevoir la nécessité d’étendre l’usage d’un tel outil aux sources rédigées dans d’autres idiomes afin d’apprécier cette tradition européenne dans son ensemble. La tension entre les liens de dépendance unissant ces textes et la singularité qui caractérise chacun d’entre eux est manifeste dans l’article de Lisa Sannicandro (« Riflessioni a margine del lavoro editoriale sulla Mulomedicina di Teodorico dei Borgognoni », 195-208) qui met en évidence l’originalité du Mulomedicina, dont les sources, les informations biographiques de son auteur, le contenu et la structure sont minutieusement présentés. À la lumière de la reconstitution de la tradition manuscrite du traité, l’autrice met en évidence les lacunes que la nouvelle édition critique du texte de Borgognoni (à paraître) vient combler. Arsenio Ferraces Rodríguez propose quant à lui l’édition d’un recueil de compositiones (« Un recetario médico altomedieval (Città del Vaticano, BAV, Pal. Lat. 1088, ff. 50r-66r) : ensayo de edición crítica », 41-80). Il anticipe ainsi le travail préliminaire indispensable à l’étude future de ce texte d’une grande hétérogénéité, jusqu’alors inédit. Sa contribution est par ailleurs l’occasion d’aborder la dimension humaine des sciences de la santé que le congrès se proposait d’intégrer aux réflexions et dont certaines similitudes avec la médecine vétérinaire sont détaillées dans les articles de Ricardo Olmos de León et de Lia Morpurgo et Piero Morpurgo.

    Ces deux derniers auteurs présentent, dans un article rédigé à quatre mains, en italien malgré ce que pourrait suggérer le titre (« Caballos mordidos por serpientes : ciencia, literatura e iconografía de la hipiatría. Herbarios, bestiarios y signos zodiacales para hombres y animales en la cultura cortés », 135-153), un aperçu de la médecine équine médiévale dans un florilège d’œuvres appartenant à des genres littéraires divers et relèvent quelques-uns des héritages actuels de la préoccupation médiévale pour la santé du cheval. Outre l’importance du maréchal-ferrant, dont l’activité est investie d’une grande responsabilité dans une société reposant sur les « imprese dei cavalieri » (149), les auteurs mettent en lumière certaines des bases doctrinales, dont les principes astrologiques, sur lesquelles reposent les soins. Dans une contribution qui fait écho à l’immense et incontournable travail réalisé pour sa thèse de doctorat[2], Ricardo Manuel Olmos de León dresse quant à lui un panorama précis des soins portés aux oiseaux de proie (« La cirugía en el cuidado de las aves de caza durante la Baja Edad Media hispánica : artífices, operaciones e instrumentos », 155-175) : il recense les différentes personnes qui interviennent de façon directe ou indirecte dans leur entretien, les modes de transmission ainsi que l’origine de leurs connaissances. L’étude des pratiques chirurgicales en particulier permet d’apprécier plus généralement les principes qui sous-tendent la médecine des oiseaux, dont l’un des « maux les plus fréquents dans les traités de fauconnerie latins au Moyen Âge » (209) est étudié par An Smets dans un article d’une grande précision (« Les parasites et d’autres maux dans le Livre du Prince et dans la Fauconnerie d’Aymé Cassian », 209‑223). L’autrice propose en effet l’analyse détaillée des remèdes prescrits contre les parasites dans deux textes inédits provenant de l’Orient latin, dont elle recense la materia medica. Elle donne ainsi à voir la concordance qui existe entre les remèdes orientaux et ceux consignés dans les textes circulant en Europe occidentale. Le travail d’Elvira Fidalgo Francisco (« “Bestias e animalias de muchas maneras” : animales en las Cantigas de Santa María », 99-119) complète ces considérations d’ordre strictement scientifique sur les savoirs et les pratiques vétérinaires de l’Europe médiévale en offrant une réflexion sur la dimension symbolique des bêtes. À travers un large éventail d’animaux (lion, taureau, porc, loup, chat, chien, oiseaux, dragon, poissons, baleine, abeille, araignée), l’autrice met en lumière l’ambivalence des valeurs auxquelles ils sont associés, tout en démontrant que leur représentation dans les Cantigas de Santa María d’Alphonse X insuffle à ces dernières une nouvelle signification et leur assigne une fonction didactique.

    Enfin, l’analyse linguistique proposée dans certains articles permet d’observer les influences qui ont façonné ces textes et révèle, plus largement, leur rôle fondateur dans la construction d’une pensée scientifique en langue vernaculaire. Antonio Montinaro démontre par exemple le rôle déterminant joué par le manuel de Jordanus Rufus dans la construction du vocabulaire hippiatrique (« Il Liber marescalcie di Giordano Ruffo : un consuntivo tra filologia e linguistica », 121-133). En étudiant le lexique technique et scientifique, l’auteur met en évidence les diverses influences (grecque, latine, gallo-romane, germanique et arabe) qui irriguent ce traité largement diffusé durant le Moyen Âge. De la même manière, le lexique médico-botanique de l’ancien occitan, étudié par Maria Sofia Corradini (« Il corpus testuale medico-farmaceutico in occitano medievale : pluralismo culturale ed articolazione lessicale », 25-39) dans deux traités rédigés en langue d’oc, est révélateur du pluralisme culturel occitan dont la synonymie est l’une des manifestations discursives patentes. Enfin, en analysant les recours morphologiques dérivationnels dans le plus ancien traité de fauconnerie rédigé en galaïco-portugais, le Livro de Alveitaria de Mestre Giraldo, sa traduction galicienne ainsi que ses principales sources, Alexandra Soares Rodrigues (« Las especificidades del léxico técnico de Mestre Giraldo frente a sus fuentes : un caso de ecosistema derivacional », 225-241) démontre qu’un tel texte constitue l’un des lieux de la construction de la langue vernaculaire, ou du moins l’un de ceux où s’est déroulé le processus de distinction des deux suffixes -dura et -mento dans la langue portugaise.

     

     

    Les douze contributions mettent ainsi en lumière l’homogénéité globale de cette tradition littéraire tout en donnant à voir les particularités qui s’en dégagent, selon l’époque ou le lieu de la production des textes. Cet ouvrage d’une grande qualité constitue à ce titre un pas supplémentaire dans la connaissance d’un « patrimonio culturale europeo » (208) commun. Il remplit incontestablement l’objectif fixé par le congrès dont il recueille certaines des contributions – celui d’attirer l’attention sur une littérature scientifique longtemps négligée des études philologiques – et offre un état de l’art des connaissances acquises dans ce domaine. Tout en soulignant les lacunes persistant dans l’état actuel des connaissances, il met à profit des sources jusqu’alors inaccessibles et fournit des outils méthodologiques précieux qui n’attendent que d’être exploités.

    Notes

    [1] Aldo Fichera, L’edizione dei due trattati di mascalcia in volgare siciliano del codice 2934 della Biblioteca Riccardiana di Firenze, Thèse de doctorat, Université de Catane, 2015, 108‑182.

    [2] Ricardo Olmos de León, Los cuidados de las aves de caza. Estudio de la medicina de las aves a partir de los tratados castellanos de cetrería (siglos XIII‑XVI), Thèse de doctorat, Université de Valence, 2015.

     

     

    Pour citer cet article

    Référence électronique
    Marthe Czerbakoff, « Gerardo Pérez Barcala (éd.), « Cui tali cura vel remedio subvenitur ». De animales y enfermedades en la Edad Media europea », Conceφtos [En ligne], 1 | 2020, mis en ligne le 21 décembre 2020. URL https://ameriber.u-bordeaux-montaigne.fr/fr/revue-conceptos/numeros-en-ligne/microfiction-microficcion/gerardo-perez-barcala-ed-cui-tali-cura-vel-remedio-subvenitur-de-animales-y-enfermedades-en-la-edad-media-europea.html